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Le clos-masure, patrimoine paysager au service de la résilience

Le clos-masure, patrimoine paysager au service de la résilience
Vincent Rustuel

Alix Guillemette, écologue - référente développement durable, et Alexia Fesquet, assistante d'études développement durable, signent un article intitulé Le clos-masure, patrimoine paysager au service de la résilience dans le dossier FNAU publié en 2022.

Ce dossier FNAU est consacré à la thématique : Repenser les écosystèmes par la planification - Vers des solutions d’adaptation fondées sur la nature dans les documents d’urbanisme.

 

Dossier FNAU - Juin 2022 - Article Clos masure 2400x1200

Le dossier FNAU : Repenser les écosystèmes par la planification

Les épisodes caniculaires sont de plus en plus fréquents. Le changement climatique à des conséquences directes sur les territoires, comme l’intensification des îlots de chaleur en ville ou la montée des eaux qui obligent à repenser les modèles de planification. 

Parmi les actions d’adaptation qui s’offrent aux villes, un certain nombre se fondent sur les services rendus par les écosystèmes et la biodiversité. Comment intégrer les solutions fondées sur la nature dans les documents de planification et d’urbanisme ?

Le dossier FNAU :

  • une vue d’ensemble sur ce que constituent les solutions d’adaptation fondées sur la nature,
  • des regards d’experts concernant la prise en compte de l’adaptation dans les documents de planification,
  • des retours d’expériences des agences d’urbanismes, illustrés par des exemples concrets.

Ces cas territoriaux sont déclinés en trois types de solutions : des solutions pour gérer la ressource en eau, réintégrer la nature en ville face à la hausse des températures, et accompagner la multifonctionnalité des écosystèmes.

 Consultez le dossier FNAU

 

Le clos-masure, patrimoine paysager au service de la résilience

Les évolutions climatiques sont parfois difficiles à appréhender et leurs impacts encore complexes à déterminer au niveau local. Si les solutions d’adaptation fondées sur la nature sont des outils essentiels pour la résilience des territoires et de leurs écosystèmes face à ces incertitudes, ce concept récent n’est pas encore privilégié dans les réponses envisagées par les collectivités pour remédier aux effets du changement climatique.

Dans le cas du plan local d’urbanisme intercommunal de la communauté d’agglomération Fécamp Caux Littoral, approuvé en décembre 2019, l’adaptation aux évolutions climatiques passe par le recensement de l’ensemble des clos-masures de son territoire et l’adossement de plusieurs prescriptions. Si la préservation de ce patrimoine paysager et identitaire est au cœur de cette démarche, ses intérêts vont plus loin.

Organisation agricole de quelques hectares apparue au cours du XIIe siècle, le clos-masure est certainement l’élément le plus caractéristique des paysages du pays de Caux. Ceinturé par des talus plantés d’arbres de haut-jet, il abrite les corps de ferme et plusieurs dépendances. La large cour comporte une ou plusieurs mares, longtemps seules sources d’eau disponibles, et elle est complétée par des prés-vergers et un potager. Cet agencement donne aux espaces ruraux du territoire un aspect boisé alors même que les boisements restent rares dans la région. Au-delà de leur fonction agricole et du patrimoine paysager et identitaire qu’ils représentent, les clos-masures assurent des fonctions essentielles pour la biodiversité et la résilience du territoire.

UN DISPOSITIF VERNACULAIRE BÉNÉFIQUE À L’AGRICULTURE ET À L’INFILTRATION DE L’EAU

Sur les plateaux agricoles cauchois où les secteurs favorables à la biodiversité sont réduits, les clos-masures sont de véritables oasis pour la faune et la flore. Les talus plantés, les vergers, les prairies et les mares composent des zones de repos et/ou des réserves de nourriture pour de nombreuses espèces animales, qu’elles soient de passage ou qu’elles s’y établissent définitivement. Les clos-masures forment ainsi à la fois des réservoirs de biodiversité et des corridors écologiques, du fait de leur dissémination sur les plateaux. Acteurs majeurs de la trame verte et bleue, ils participent aussi à atténuer certains risques naturels. Ce sont donc des alliés essentiels pour faire face aux aléas climatiques actuels et à venir.

L’agglomération Fécamp Caux Littoral bénéficie d’un climat océanique bien marqué : températures douces, pluies réparties sur toute l’année et vent régulier. Aussi, les arbres entourant les clos-masures créent un microclimat plus favorable aux hommes et aux activités agricoles en limitant l’accentuation du froid par le vent en hiver, et en favorisant la fraîcheur en été grâce aux ombres portées des arbres. Dans la perspective d’une augmentation progressive des températures et des épisodes caniculaires, le rôle d’îlot de fraîcheur joué par ces ceintures arborées est un atout pour les habitants et la biodiversité. Les projections faites par le Giec Normand indiquent que l’élévation de la température atmosphérique moyenne en Normandie pourrait être de +1°C (scénario optimiste) voire dépasser +3,5°C (scénario pessimiste) à l’horizon 2100. Toujours d’après leurs projections, la fréquence des jours où la chaleur est supérieure ou égale à 25°C, pourrait passer de moins de 15 jours par an actuellement à plus de 40 jours par an à la fin du siècle.

Les mares et les talus jouent, quant à eux, un rôle hydraulique indispensable pour limiter les ruissellements auxquels le territoire est particulièrement sensible. Aménagées au niveau des axes de ruissellement pour assurer leur recharge naturelle et donc l’approvisionnement en eau des fermes de l’époque, les mares stockent les eaux de pluie et atténuent les ruissellements. De même, les talus plantés cassent la vitesse des écoulements et favorisent l’infiltration des eaux. Ces éléments sont d’autant plus importants aujourd’hui que les dynamiques d’urbanisation entraînent l’imperméabilisation des terres. À cela s’ajoute le retournement des prairies au profit des grandes cultures à cause de la crise de l’élevage. Tout cela accentue les problématiques de ruissellement et d’inondation, que les évolutions climatiques pourraient encore intensifier.

DU DIAGNOSTIC AUX ORIENTATIONS D’AMÉNAGEMENT ET DE PROGRAMMATION : LES LEVIERS DE PRÉSERVATION

Le recensement des clos-masures effectué pour le diagnostic du PLUi de la communauté d’agglomération Fécamp Caux Littoral a cependant mis en avant leur disparition progressive. Leur nombre a chuté de près de 80% ces soixante-dix dernières années et ceux encore présents sont souvent dégradés. Ces détériorations sont liées à plusieurs facteurs. La perte de vocation agricole, les divisions parcellaires et l’urbanisation des cours pour de nouveaux logements ont entraîné la suppression des vergers et de nombreux talus plantés. Le raccordement à l’eau courante et la diminution de l’élevage engendrent la disparition des mares par comblement, volontaire ou non. Enfin, les talus plantés sont détruits par peur de la chute d’arbres ou lors de la construction de nouveaux bâtiments agricoles, ou se délabrent par manque d’entretien.

Pour préserver ce patrimoine fragile, plusieurs outils du PLUi ont été mobilisés. Des mesures spécifiques ont été intégrées dans l’orientation d’aménagement et de programmation (OAP) thématique sur la trame verte et bleue. Ainsi, des prescriptions s’appliquent aux différentes composantes de l’ensemble des clos-masures identifiés. Ces prescriptions reprennent aussi les protections réglementaires qui leur sont appliquées : protection des talus, arbres, vergers et mares au titre de l’article L.151-23 du Code de l’urbanisme et classement des alignements les plus remarquables en espaces boisés classés au titre de l’article L.113-1 du Code de l’urbanisme.

Une attention forte a été portée aux clos-masures encore sièges d’exploitation afin de ne pas entraver leur développement. La construction ou l’agrandissement de bâtiments, indispensable aux activités agricoles et à leurs évolutions, peuvent parfois nécessiter la destruction de talus plantés, de mares ou de vergers. Pour ces clos-masures particuliers, les alignements d’arbres remarquables sont protégés uniquement au titre de l’article L.151-23 du Code de l’urbanisme, protection plus souple que les espaces boisés classés. En cas de destruction d’éléments pour l’adaptation d’une exploitation, l’OAP impose des mesures de compensation équivalant à la reconstitution des éléments détruits. Si la reconstitution des haies ou des vergers est une obligation règlementaire, le choix d’essences locales et l’utilisation de plusieurs essences au sein de la haie reconstituée (donc la fonction de biodiversité) relèvent de la recommandation. De même si une mare est détruite, il y a obligation d’en recréer une (fonction gestion des eaux) mais la plantation d’espèces indigènes sur les berges (fonction biodiversité) relève de la recommandation. Pour accompagner ces restaurations, plusieurs recommandations du CAUE 76 viennent compléter l’OAP.

Au total, le règlement graphique identifie près de 200 clos-masures auxquels s’appliquent les mesures de l’OAP thématique. Par l’ensemble des protections inscrites dans le PLUi, l’agglomération espère préserver ces structures singulières aux fonctions multiples. Les clos-masures continuent d’inspirer les formes urbaines contemporaines puisque les OAP sectorielles du PLUi ont pris soin de prescrire des talus plantés d’arbres de haut-jet pour de nombreux secteurs à urbaniser.

LE PAYSAGE VECTEUR D’UNE MEILLEURE APPROPRIATION DES SOLUTIONS FONDÉES SUR LA NATURE

Pour démocratiser le recours aux solutions fondées sur la nature, une des pistes à envisager pourrait être d’appréhender la résilience du territoire sous des prismes transversaux tels que celui des paysages. C’est ce qu’illustre le PLUi de l’agglomération Fécamp Caux Littoral. Ce dernier a intégré des dispositions fortes pour la préservation des clos-masures, organisations de corps de ferme singulières. Historiquement conçu pour faire face aux aléas climatiques, grâce à plusieurs structures naturelles, c’est un élément résilient par essence.

Le clos-masure est donc particulièrement pertinent dans la recherche de solutions pour l’adaptation aux changements climatiques, tout en assurant la préservation du patrimoine paysager, architectural et naturel. Si la sauvegarde du patrimoine paysager a guidé les travaux du PLUi, elle participe aussi à la préservation de la trame verte et bleue, tout en limitant les risques naturels qui pourraient s’intensifier avec les évolutions climatiques. Cette démarche a également veillé à respecter les besoins des fermes toujours en activité, afin que les différentes protections ne viennent pas entraver le développement des exploitations.

 

Clos masure 2


 Juin 2022